« On a gagné pas mal d’argent comme ça. Du coup, on avait envie d’avoir une voiture confortable et solide. Alors on a acheté des Benz. »

Dédé Rose Creppy

« Ça », c’était la vente du pagne Wax. Nonobstant le grand débat sur l’africanité du tissu Wax, ce qui importe ici, ce sont nos Nana Benz, ces Togolaises (pour la plupart) qui ont contribué à africaniser ce tissu hollandais et se faire de l’argent au passage.

Elles s’appellent Dédé Rose Creppy, Nadou Lawson, Eunice Adabunu, Patience Sanvee ….

C’est dans les années 40-50 qu’elles débutent leur commerce en s’approvisionnant en pagnes au Ghana voisin, mais les problèmes, notamment autour de la  question Ewé, couvent et ne semblent pas se résoudre. De 1950 à 1960, les relations entre les deux présidents, le Ghanéen Kwamé N’krumah et le Togolais Sylvanus Olympio, se sont détériorées et il devient de plus en plus difficile de se procurer le pagne au Ghana. Mais ces formidables femmes ne sont pas des femmes à s’asseoir et à se tourner le pouce : ces femmes qui n’ont pas été scolarisées (pour la plupart) et qui avaient commencé à être des commerçantes avec lesquelles il fallait compter au grand marché de Lomé.

Les disputes des politiciens sur la réunification de leur pays avec le Ghana voisin ressemblaient à un coup de pouce du destin. Dès les années 1950 déjà, elles avaient commencé à négocier directement avec les maisons de commerce basées au Togo : GB Ollivant, John Holt ou CFAO. À partir des années 70-80, c’est directement aux Pays-Bas qu’elles se rendaient. Ce sont elles qui proposaient les modèles, qui acquéraient le monopole de la distribution ! Maintenant, les Hollandais passaient par elles et uniquement par elles.

Ce sont aussi elles qui ont donné à ces pagnes ces noms qui font naître un petit sourire : l’œil de ma rivale ; ton pied, mon pied ; si tu sors, je sors… Des noms qui indiquent qu’on ne s’amuse pas avec ces femmes. Des femmes qui commençaient à mettre certaines personnes mal à l’aise. Mais comme on le dit dans le parler ivoirien : « Est-ce que je te vois pour dire que je te regarde ? »

Pagne Wax

Si elles mettaient ces personnes mal à l’aise, elles s’en fichaient ou du moins n’y prêtaient guère attention.

Pour mieux défendre leurs droits vis-à-vis des autorités togolaises, elles créèrent un syndicat, ouvrirent des magasins plus grands – des magasins climatisés ! –  construisirent d’immenses villas au Togo, achetèrent des appartements en Europe, y envoyèrent leurs enfants pour étudier. Et bien sûr, comme il leur fallait des voitures confortables et solides, elles achetèrent des Mercedes Benz. Des Mercedes qu’elles prêtèrent volontiers à l’État togolais en 1970 pour accueillir ses dignitaires en style « parce que le gouvernement n’avait pas assez de moyens pour acheter  autant de Mercedes ».

Il est vrai qu’il y a cet éternel débat sur le fait que ce n’est pas parce qu’une femme, en l’occurrence, que des femmes sont au sommet qu’elles sont forcément féministes. Mais puisque la mission de cette Maison – La maison des féminismes africains, NDLR – est si bien définie : il s’agit de féminismes au pluriel et non d’un seul féminisme.

Les défis des années 40 n’étaient pas les mêmes que ceux d’aujourd’hui. À l’époque, il s’agissait peut-être (certainement) de s’affirmer. S’affirmer dans la société et s’affirmer chez soi. En effet, une anecdote qu’une des filles de Nana Benz a partagé sur sa mère dit ceci : « Elle me disait qu’il fallait faire des affaires pour pouvoir ‘affronter son mari’, c’est-à-dire rester sa préférée au détriment des autres épouses. »

Aujourd’hui, les Nana Benz ont un peu perdu de leur gloire : contrefaçons chinoises déversées sur le marché, dévaluation du franc CFA mais aussi vieillesse. Mais nos Nanas ne sont pas des femmes à se laisser abattre par une petite chose comme l’âge. Leurs filles et petites-filles qu’elles ont envoyées à l’école en Europe, aux États-Unis, ont repris le flambeau et continuent de donner vie à leurs histoires. Et nous autres, nous nous inspirons et sommes fières de ces grandes dames. Nous nous tenons sur leurs épaules.

 

Publié pour la première sur House Of African Feminisms par Edwige Renée Dro, fondatrice de 1949